La création artistique est-elle totalement libre ? Dans les pays démocratiques, la réponse semble être positive. L’artiste doit pouvoir exprimer ce qu’il ressent, quitte à déranger, voire à choquer l’opinion publique.

Il n’est pas non plus le garant du beau ou du bon goût, ces notions étant relatives et discutables. Selon Hegel, « La beauté artistique est la beauté née de l’esprit ».  Or, il n’existe aucune norme permettant de préciser la nature exacte du beau artistique.

L’art est un terrain d’expérimentation, un outil de connaissances, un révélateur du regard et de l’âme des talents qui lui donnent vie. Les scandales qui l’entourent semblent faire partie de son histoire.

Toutefois, contrairement aux idées reçues,  il existe bien des limites juridiques à l’art !

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Ne pas confondre la morale et le droit

Quand on parle de poser des limites à l’art,  c’est souvent sous un angle moral.

Il faudrait se contenter de parler de tels ou tels sujets, et les aborder de manière à ne froisser personne. Ce qui est impossible et peu souhaitable.

Quand la question morale devient centrale et trop présente, des écueils apparaissent très vite :

  • une forme de censure, qui ne dit pas son nom, menaçant les œuvres susceptibles d’être considérées comme « immorales » ;
  • une contrainte économique : en raison d’un objectif de rentabilité, certaines œuvres ne verront pas le jour ;
  • l’autocensure, certains artistes redoutant le jugement de l’opinion publique ;
  • la provocation « facile », érigée comme une règle, qui finit par masquer les provocations réelles et salutaires.

L’historien de l’art Paul Ardenne regrette d’ailleurs une tendance actuelle à un art « corseté » et conformiste (source).

Dans tous les cas,  les débats sur la morale ou sur l’esthétique d’une œuvre d’art ne concernent pas la justice.

Dans l’affaire pour plagiat qui oppose l’artiste américain Joe Morford à l’italien Maurizio Cattelan, le magistrat Robert N. Scola Jr a résumé la situation avec une pointe d’humour : « Heureusement pour le tribunal, la question de savoir si une banane scotchée à un mur peut être de l’art est plus une question métaphysique qu’une question juridique. » (source) Le procès portera donc uniquement sur les similitudes entre leurs deux œuvres et sur la protection par le droit d’auteur.

Les limites juridiques à la création artistique

Le nécessaire respect de la législation

Même si les juges font une interprétation large de la liberté d’expression, les artistes ne sont pas non plus au-dessus des lois. Il existe ainsi toute une jurisprudence réprimant, en application de la règle de droit, les atteintes à la dignité humaine,  la mise en péril de mineurs (via des images ou des représentations), etc.

Avant d’outrepasser ces règles, il faut donc réfléchir à la portée (et à la qualité ?) de la démarche artistique envisagée afin d’être prêt à en payer le prix.

Par exemple, l’artiste plasticien Jeff Koons a été condamné pour contrefaçon après avoir copié une publicité afin de créer une sculpture (source). Il lui a notamment été reproché de n’avoir, à aucun moment, présenté sa création comme ayant été inspirée par l’œuvre originale.

Dans un autre registre, en Suède un artiste a été condamné à de la prison pour avoir exposé des œuvres jugées racistes envers les Noirs et les Roms. (Source)

Autre exemple : l’artiste russe Piotr Pavlenski a écopé d’un an de prison pour avoir incendié la façade d’une succursale de la Banque de France dans une démarche contestataire (source).

Les situations plus complexes

L’interprétation des règles de droit est laissée à l’appréciation des juges. Or en matière artistique, il n’est pas toujours facile de savoir à quel moment la liberté de créer va à l’encontre de l’ordre public.

Prenons le cas du street art. À quel moment ce qui pourrait être considéré comme un graffiti, et donc une dégradation d’un bien appartenant à autrui, devient une œuvre d’art ?

En 2005, un étudiant en arts plastiques a par exemple été condamné à 800 euros d’amende et 2 mois d’emprisonnement avec sursis (source). Sa sanction aurait-elle été identique si son œuvre avait été signée Bansky ou M. Chat ?

Les performances peuvent aussi donner des sueurs froides aux magistrats, qui doivent éviter l’ingérence disproportionnée. L’artiste Deborah de Robertis est notamment régulièrement jugée puis relaxée pour exhibition sexuelle, puisqu’elle s’est montrée nue dans des lieux emblématiques tels que le Musée du Louvre ou le Sanctuaire de Lourdes (source).